Ces chapitres traduits sont extraits d’un ouvrage collectif
« Neurobiologie interpersonnelle et pratique clinique »
(édité par D. Siegel, A. Schore, L. Cozolino ; 2021)
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Selon l’autrice, sous des concepts appris se cachent les croyances et les points de vue souvent inconscients des thérapeutes sur l’essence de la condition humaine, les circonstances qui facilitent le changement, la nature des relations interpersonnelles et la démarche de mieux-être. Ces perspectives constituent un paradigme propre à chaque thérapeute qui exerce une influence puissante sur sa pratique clinique.
Ogden propose six principes pour guider implicitement l’action thérapeutique, enraciner la disposition émotionnelle et l’état d’esprit qui sous-tendent la pratique. Ces principes nous invitent à nous installer dans un lieu d’incertitude, de non-savoir, pour accéder à l’état d’ouverture à la nouveauté de l’émergence.
L’« organicité »
L’organicité signifie selon Ogden que tous les systèmes vivants possèdent une intelligence évolutive inhérente qui guide leur propre développement. Le rôle du thérapeute est de découvrir la fonction adaptative sous-jacente des difficultés de vie rencontrées.
Dans cette perspective, les symptômes habituellement perçus dans une perspective médicale comme des pathologies sont abordés comme des ressources de survie, élaborées dans le but de mieux faire face aux expériences négatives et réguler notre niveau d’activation.
Selon ce principe, chacun fait les meilleurs choix compte tenu de l’impact des contraintes subies, de sa situation sociale, de son conditionnement culturel, des ressources et des informations dont il dispose.
La non-violence
Pour l’autrice, dans des conditions favorables, les systèmes vivants se transforment d’eux-mêmes. Plutôt que de chercher à manipuler ou lutter pour que quelque chose se produise, la non-violence signifie que nous suivons le mouvement, ce qui veut se produire, l’étape suivante naissante. Plutôt que d’essayer de pousser ou de contraindre au changement ou de résoudre un problème, l’accent est mis sur la façon dont les clients organisent leur expérience physique, émotionnelle et mentale, qui est appréhendée comme ayant un sens et un but, et comme détenant les clés de leur évolution personnelle.
Les façons dont l’expérience est organisée par des habitudes de pensée, d’émotion, de posture et de mouvement sont basées sur notre histoire expérientielle, façonnées en modèles au fil du temps. Mais elles perdent leur utilité lorsque les circonstances changent. Ces comportements et habitudes autrefois adaptés ne sont pas des obstacles à la croissance, mais peuvent devenir des comportements par défaut toujours en vigueur après que les conditions qui les ont façonnés ont disparu.
Holisme corps-esprit-âme
Une approche holistique du bien-être, selon l’autrice, tient compte de l’interrelation entre le corps, l’âme et l’esprit en interaction avec un environnement en mouvement constant. Le sentiment que nous avons de nous-mêmes, de notre relation avec les autres et de notre place dans le monde émerge de ces trois éléments toujours liés qui constituent la totalité de notre identité.
L’histoire racontée par le corps — le « récit somatique » du geste, de la posture, de la prosodie, des expressions faciales, du regard, du mouvement, etc. — reflète notre histoire personnelle et socioculturelle.
En faisant preuve de curiosité et de volonté pour explorer le corps, en faisant preuve de compassion et en reconnaissant les façons dont le corps s’est adapté dans le passé, ainsi qu’en prenant conscience des modèles d’expression socioculturels, nous pouvons mieux tirer parti de la sagesse corporelle.
L’unité
Pour Ogden, en tant qu’individus, nous n’existons pas et ne pouvons pas exister de manière isolée, mais au sein d’un réseau organique complexe de relations. Chaque partie distincte de ce réseau de systèmes auto-organisés est générée en relation avec le tout et génère ensuite le tout. Sans l’activité du tout, les parties n’existeraient pas, et vice versa.
Les propriétés émergentes ne peuvent apparaître que lorsque les parties interagissent avec, et sont influencées réciproquement par, toutes les autres parties qui interagissent au sein du grand tout.
En tant que thérapeutes, nous travaillons à faire communiquer les parties, qu’il s’agisse des membres de la famille, du corps et du mental, ou des parties du mental. Lorsque la communication est rétablie entre le mental, le corps et l’âme, les états de soi « moi » et « non-moi », les émotions, les pensées et le corps, le soi implicite et le soi explicite, etc. les différences sont résolues, l’intégration est renforcée, la connexion avec le grand tout est vécue plus pleinement, et l’énergie utilisée pour maintenir la dissociation est libérée à d’autres fins.
L’alchimie relationnelle
L’alchimie relationnelle, selon l’autrice, émerge de l’interaction des soi implicites qui se cachent sous les mots, généralement non reconnus et non articulés par l’esprit conscient.
Les éléments ou parties implicites du thérapeute et du client qui participent à l’alchimie relationnelle existent dans les profondeurs de l’inconscient et peuvent contenir différentes versions de la réalité, des croyances, des objectifs et des prédictions de la manière dont la relation va se passer. Les échanges réciproques puissants entre ces éléments non symbolisés de la dyade ouvrent à la fois à une profonde reconnaissance et une profonde absence de reconnaissance. Les mêmes forces relationnelles mystérieuses qui conduisent à la reconnaissance sous-tendent également les conflits et les luttes interpersonnelles auxquels le thérapeute et le client se heurtent.
Chercher « quelque chose à aimer » permet d’amorcer la reconnaissance des aspects du client qui ont besoin d’être sortis de leur cachette et d’être entraperçus par quelqu’un d’autre.
Présence et pleine conscience
Selon Ogden, la présence est un sentiment de fusion avec chaque moment fugace et de participation pleine. Dans sa forme la plus souhaitable et la plus pure, la présence signifie que nous pouvons contourner les nombreuses variantes de constructions mentales, de conditionnements, de croyances acquises et de préjugés sur nous-mêmes, sur les autres et sur le monde.
La principale fonction du cerveau est souvent décrite comme l’anticipation, qui lui permet de prédire en permanence ce qu’il va se passer. Au lieu d’être présent, nous « réagissons » au moment présent, ce qui est régi par le « téléchargement » de modes de pensée habituels.
Si notre attention en tant que thérapeute est constamment divisée (régulièrement trop consciente et donc non présente), nous courons le risque d’entraver la danse dyadique de la participation, de la synchronicité et de la présence avec notre client. Par la présence, le client sent que nous sommes avec lui et nous nous retrouvons à agir sans préméditation. Grâce à la pleine conscience, nous prenons conscience de nos propres réactions internes.
Les principes déterminent la technique
Pour l’autrice, la pleine conscience est une intervention passive, c’est-à-dire que l’intention est de noter l’expérience intérieure plutôt que de la manipuler, de la changer, de l’interpréter ou de l’analyser. Le thérapeute et le client suspendent l’élaboration de significations et la formulation de conclusions au profit d’une simple observation, afin de s’en tenir à ce qui, à première vue, peut sembler être des bribes d’expérience interne sans rapport avec le sujet. La première des compétences à développer consiste à prendre conscience de l’expérience du moment présent du client.
En cherchant à établir un contact, le thérapeute attire l’attention du client sur un élément considéré (souvent implicitement) comme significatif en le nommant. Le repérage et la prise de contact attirent l’attention sur l’expérience du moment présent du client, ce qui initie la pleine conscience.
Quelques mots sur l'autrice
Pat Ogden, docteur en philosophie, est une pionnière de la psychologie somatique, la créatrice de la méthode de psychothérapie Sensori-motrice et la fondatrice de l'Institut de psychothérapie Sensori-motrice (sensorimotor.org). Le Dr Ogden est cofondatrice de l'Institut Hakomi, ancienne professeure de l'Université Naropa, clinicienne, consultante, conférencière internationale et auteure novatrice en psychologie somatique. Elle s'intéresse actuellement à la thérapie de couple, à la thérapie de l'enfant et de la famille, à la justice sociale, à la diversité, à l'inclusion, à la conscience et aux principes philosophiques et spirituels qui sous-tendent son travail.
L’esprit conscient rationnel du cerveau gauche est souvent considéré comme « supérieur » au mental inconscient émotionnel du cerveau droit, vu comme « inférieur ». Or, Schore démontre que le cerveau droit est dominant dans la psychothérapie profonde, celle qui permet de réduire les symptômes et de favoriser la croissance.
Dans les moments thérapeutiques d’intensité affective élevée, lorsque le client fait l’expérience d’un état émotionnel (cerveau droit), le thérapeute empathique et accordé s’abandonne implicitement à une régression en relâchant la dominance de l’hémisphère gauche sur l’hémisphère droit, et par là même s’ouvrant à un contact intersubjectif avec l’état émotionnel et « automatique » du patient.
Pour l'auteur, ce relâchement transitoire de la dominance de l’hémisphère gauche se manifeste par une régression des fonctions verbales, cognitives, analytiques, explicites de l’esprit conscient vers les fonctions non verbales, émotionnelles, imagées, intuitives, implicites et spécialisées dans la vulnérabilité du mental inconscient droit.
Selon Schore, la synchronie client-thérapeute permet d’établir un couplage intercérébral qui permet à la dyade d’accéder aux états internes de l’autre, ce qui facilite la compréhension commune et le partage émotionnel. Et dans ces moments affectifs intenses de regard intérieur mutuel, la relation thérapeutique agit comme un système de résonance émotionnelle non verbale, dans lequel la synchronisation intercérébrale amplifie l’affect, permettant à chacun d’entrer dans la conscience de l'autre.
Cette régression spontanée ouvre à la vulnérabilité, l’incertitude, l’humilité et l’authenticité de l’hémisphère droit. Cette transition hémisphérique, ce changement d’état du thérapeute empathique de réduction des défenses permet la synchronie implicite et la régulation intuitive émotionnelle.
Dans les moments intenses affectivement de la thérapie, les facteurs de stress interpersonnels perturbent l’alliance thérapeutique, ramenant à la conscience les ruptures autobiographiques du développement du lien d’attachement et les états affectifs intenses dysrégulés précoces tels que la peur, l’agression, la perte et le désespoir, ainsi que la honte.
Pour l'auteur, la tolérance du thérapeute à ces régressions primitives du client telles qu’elles sont revécues dans la situation thérapeutique, s’appuie sur ses propres capacités à régresser en même temps que son client, tout en conservant la fonction d’observation de son moi.
Schore cite Russell (1998) selon lequel « la source la plus importante de résistance dans le processus de traitement est la résistance du thérapeute à ce que ressent le patient ».
Et l’auteur d’en conclure que l’expertise relationnelle et émotionnelle du thérapeute réside dans sa capacité à établir des relations psychothérapeutiques avec une grande diversité de clients.
Quelques mots sur l'auteur
Allan N. Schore, Ph.D., est membre de la faculté clinique du département de psychiatrie et des sciences biocomportementales de l'école de médecine de l'UCLA. Il est l'auteur de six ouvrages fondamentaux, dont Affect Regulation and the Origin of the Self (Classic Edition), et de deux livres récemment publiés, Right Brain Psychotherapy et The Development of the Unconscious Mind, ainsi que de nombreux articles et chapitres revus par des pairs. Ses contributions paraissent dans de nombreuses disciplines, notamment les neurosciences, la psychothérapie, la psychanalyse, la psychiatrie, la psychologie du développement, la santé mentale infantile, la théorie de l'attachement, les études sur les traumatismes, la biologie comportementale, la psychologie clinique et le travail social clinique. Il est ancien rédacteur en chef de la série Norton sur la neurobiologie interpersonnelle et a reçu de nombreuses distinctions pour son travail, notamment un prix pour ses contributions exceptionnelles à la pratique de la psychologie du traumatisme décerné par la division de la psychologie du traumatisme, le prix scientifique de la division de la psychanalyse de l'American Psychological Association, le titre de membre honoraire de l'American Psychoanalytic Association et le prix Reiss-Davis Child Study Center pour ses contributions exceptionnelles à la santé mentale de l'enfant et de l'adolescent. Il a donné de nombreuses conférences dans le monde entier et exerce la psychothérapie à titre privé depuis plus de quarante ans.
Les systèmes motivationnels sont les produits de l’évolution. Ils organisent notre comportement et nos objectifs en vue de la survie de base : homéostasie (manger, dormir) ; chasse (prédation) ; survie de l’espèce (accouplement, etc.) ; l’exploration, qui implique la curiosité et la perspective d’un plaisir ; et les réponses au danger et à la menace de mort (fuite, combat, figement et évanouissement).
Les systèmes motivationnels prosociaux sont des développements évolutifs ultérieurs, qui émergent principalement des fonctions néocorticales et les soutiennent. Ils englobent l’attachement, la sollicitude, la collaboration/coopération, la compétition/hiérarchisation, la sexualité et le jeu.
Chaque système motivationnel organise et limite nos anticipations, nos perceptions, nos émotions, nos expériences sensorielles et nos comportements dans le but d’atteindre des objectifs particuliers. Étant donné que’ils dirigent et restreignent à la fois notre attention, nos perceptions et nos objectifs, notre capacité à réfléchir et à mentaliser avec pertinence l’état d’esprit d’autrui peut être affectée par l’activation ou l’inhibition d’un système donné.
Les systèmes motivationnels peuvent être suractivés, surinhibés ou combinés de manière inadaptée avec d’autres systèmes motivationnels dans le cadre d’un traumatisme interpersonnel, d’une manière qui continue à perturber les capacités relationnelles de l’individu et à interférer avec la possibilité d’un lien adapté avec les autres.
Identifier les moments où ces systèmes sont activés constitue un atout supplémentaire aux mains du psychothérapeute pour offrir une relation thérapeutique qui régule et fournit un espace intersubjectif sécure permettant au client d’explorer ses expériences, de modifier son organisation intérieure et de mener progressivement une vie plus satisfaisante.
Quelques mots sur l'autrice
Kathy Steele, MN, CS, exerce en cabinet privé à Atlanta, en Géorgie, et est membre auxiliaire de la faculté de l'université Emory. Kathy est membre et ancienne présidente de la Société internationale pour l'étude du traumatisme et de la dissociation (ISSTD). Elle a reçu plusieurs prix pour ses travaux cliniques et ses publications, dont le Lifetime Achievement Award 2010 de l'ISSTD. Elle est (co)auteur de nombreuses publications dans le domaine du traumatisme et de la dissociation, dont trois livres, et donne des conférences internationales sur des sujets liés au traumatisme, à la dissociation, à l'attachement, ainsi qu'à la résistance et aux impasses thérapeutiques.